Marie France TRISTAN
EXPLORATION DU BAROQUE
Avant de créer le monde Dieu avait pour unique occupation de « peindre » dans le « Miroir très pur de son essence » cet autoportrait de lui-même qu’est le Verbe […] :
À travers toute l’infinie succession des siècles, toute l’étendue de l’éternité sans fond, alors qu’aucune créature animée ne vivait encore car il n’y avait pas d’éléments, que le Soleil ne brillait pas car il n’y avait pas de Ciel, que les heures ne s’écoulaient pas car il n’y avait pas de temps ; avant que Dieu ne chassât de l’antique pépinière de toutes choses le misérable Néant, qu’il n’insufflât dans cette discordance imparfaite et sans ordre son Esprit de vie ; tandis que de lui-même devenu l’hôte et le logis il était tout en tout, demeurant solitaire en lui-même, sans autre communication que celle qui relie entre elles les trois sublimes Hypostases, les trois Suppôts indivisibles, les trois Personnes consubstantielles du suprême Conseil ; là, au sein de l’énorme agglomérat constitué par ce mélange informe d’abîmes et cette masse indistincte et confuse qui avait pour nom le Chaos, se contemplant dans le Miroir très pur de son essence, et par un acte à jamais ininterrompu se comprenant comme étant non seulement essentiellement, mais aussi notionnellement le souverain bien ; de toute éternité, avec le pinceau de son intellect productif et fécond, il s’employa à se représenter lui-même, ou plutôt (si l’on peut s’exprimer ainsi) à se reproduire à l’identique et à former (pour ainsi dire) un autre soi, lequel ne fut autre que le Verbe éternel 1 (p. 153).
1- D.S. (Pitt. I) p. 135 (19) à 137 (3).