La fable d’Adonis

           Une analyse des différentes séquences des aventures d’Adonis laisse apparaître que son ignéité, qui fait de lui un personnage d’abord simplement solaire dans sa nature innée et par vocation, puis dionysiaque dans sa nature acquise, évolue sensiblement du début à la fin du poème : après l’ascension céleste suivie de la descente souterraine, cette ignéité atteint symboliquement un second sommet dans l’épisode du Couronnement (chant XVI) sous le signe de l’or monarchique, puis semble s’éclipser derrière l’aspect ambivalent de l’épisode de la Mort sacrificielle où, sous le signe du sang, l’héroïsme rédempteur se confond inéluctablement avec l’anti-héroïsme apparent de l’échec (chant XVIII), avant de resurgir à travers le triomphe final qu’illustrent aussi bien la glorieuse Sépulture du chant XIX, que la célébration des Jeux adoniens au chant XX. Mais jusqu’au bout, néanmoins, les deux natures masculine et féminine d’Adonis restent étroitement imbriquées. Sous son aspect féminin, celui de sa nature innée et passive, qui se manifeste plus particulièrement au début du poème, il n’est « fils de roi » qu’en puissance, il ne fait que porter en lui le germe d’ignéité qui le conduira un jour à la royauté effective, comme cela lui est annoncé prophétiquement dès le premier chant1, et l’amènera inévitablement à participer du symbolisme christologique de la « mort du roi », et par voie de conséquence de celui du sang rédempteur. Sa mort en effet, mi accidentelle (par soumission de l’auteur aux données traditionnelles du mythe), mi punitive (Adonis a été touché par l’aile de l’hybris juste avant le drame en transgressant l’interdit de la « chasse aux monstres »)2, mi sacrificielle (par adhésion, précisément, au symbolisme christologique propre au traitement marinien du mythe), revêt en définitive une finalité explicitement anabolique à l’échelle universelle, comme il apparaît dans l’épisode des Jeux. Adonis y fait figure de réparateur de l’ordre du monde, et de restaurateur de la paix, de la justice et de la félicité au sein de la société des dieux et des hommes réunis pour la circonstance3 (p. 531-532).


1- Ad. I, 168 (5-8).

2- Ad. XVIII, 58.

3- Parmi les critiques modernes M. Pieri, après Pozzi, a pressenti la coloration chrétienne que revêt chez Marino le mythe d’Adonis ; cf. notamment l’« Introd. » à sa nouvelle éd. crit. de l’Adone au Poligrafico dello Stato, Rome, 1995, P. XV.